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Par Anne-Marie Larose, Ph.D, MBA., Conseillère experte, Point Cardinal.

La meilleure stratégie d’innovation, et la seule pour certain, serait d’identifier un besoin ou un problème puis de lui trouver une solution. Mais faut-il obligatoirement qu’une invention réponde à un besoin pour émerger?

Pourquoi ne pas suivre des idées parfois saugrenues ou un peu folles ? Pourquoi mettre de côté des hypothèses ou des concepts nouveaux sous prétexte qu’il n’y a pas de besoin identifié ? Et qu’en est-il des résultats de recherche qui ont le potentiel d’engendrer de nouvelles innovations ?  Cette approche bottom up, c’est-à-dire de partir d’une solution, de lui trouver un besoin et une opportunité de marché, demande de la vision, de la créativité, de la persévérance et des ressources pour franchir le parcours à obstacles d’une innovation, surtout s’ils’agit d’une innovation de rupture. Celle-ci, par définition, rompt avec les usages habituels ou les habitudes de consommation, comme l’a fait la technologie PCR (acronyme pour «Polymerase Chain Reaction), celle-là même qu’on utilise pour dépister la Covid 19.

Et non, la découverte de la technologie PCR n’est pas venue d’un problème pour lequel on cherchait une solution ou un besoin à combler. Cette technologie, qui figure parmi les 150 nouveaux mots de la dernière édition du dictionnaire Larousse, est connue depuis des dizaines d’années du milieu scientifique mais a été popularisée depuis le début de la pandémie de la Covid 19. En effet, elle avait déjà révolutionné depuis sa découverte en 1983 par Karry Mullis, plusieurs secteurs dont la médecine, le diagnostic rapide, la criminalistique et l’archéologie.

L’histoire de la découverte de la technologie PCR par Mullis, un chimiste à l’emploi de la compagnie Cetus Corporation, est fascinante (références 1 et 2). C’est au volant de sa voiture, en route vers sa maison de campagne, qu’il a eu un coup de génie. Il venait de trouver comment une faible quantité d’ADN pouvait être copiée en grande quantité par un processus de réactions en chaîne en utilisant une enzyme appelée polymérase. La PCR est une technologie qui a largement évolué depuis ses débuts. On peut maintenant produire plus d’un milliard de copies d’un acide nucléique spécifique (ADN ou ARN) en moins d’une heure ! Pourtant cette technologie, qui a changé radicalement la biologie moléculaire, n’a pas été adoptée immédiatement. Lors de la présentation du concept à la réunion annuelle de la compagnie Cetus, en 1984, Mullis a suscité peu d’intérêt de ses collègues et des scientifiques présents. Heureusement l’un de ses supérieurs lui a demandé de travailler à établir une preuve de concept, qui a fonctionné mais après plusieurs échecs qui ont exigé d’adapter et d’optimiser le processus d’amplification et de détection. Cela a mené au dépôt d’une demande de brevet en 1985. Des améliorations à la technologie, dont l’isolation d’une polymérase thermostable qui deviendra un ingrédient clé du processus, a propulsé l’utilisation de cette technologie. En 1989, Cetus a vendu les brevets à Roche Molecular Systems pour 300 millions USD et en 1993, Mullis a reçu le prix Nobel de chimie pour sa découverte.

La PCR est un bel exemple de sérendipité, c’est-à-dire qui désigne « la faculté de discerner l’intérêt, la portée d’observations faites par hasard et sortant du cadre initial d’une recherche » (référence 3). D’autres exemples comme le velcro, le téflon, le post-it, la pénicilline et le Viagra sont aussi célèbres. Les découvertes technologiques, tout comme l’identification de nouveaux usages à des technologies existantes comme le GPS, la carte à puce ou le livre numérique, peuvent ainsi, en mode bottom-up, engendrer des innovations dans des nouveaux marchés ou segments de marché, ou apporter des solutions à des enjeux de société sans qu’un problème ait nécessairement été le point de départ du processus d’innovation.

Qui aurait pu imaginer en 1984 que plus de 50 millions de tests PCR seraient réalisés contre la Covid au Canada et plus de 2,5 milliards dans le monde ! Chaque processus d’innovation est unique. N’ayons pas d’œillères, soyons audacieux et n’hésitons pas à sortir des sentiers battus !

Références

  1. Kossakovski F. The eccentric scientist behind the “gold standard” COVID-19 test. National Geographic, 2021 March 3.
  2. History of polymerase chain reaction, Wikipedia (https://en.wikipedia.org/wiki/History_of_polymerase_chain_reaction) .
  3. Le Dictionnaire de l’Académie française, 9e édition, 2020.