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Par Nathalie Tremblay, MBA, PhD candidate, conseillère experte, Point Cardinal

 

Innover grâce à l’intelligence collective, c’est l’art de combiner les capacités des personnes ayant des opinions diverses, pour trouver des solutions basées sur des données multiples grâce à des technologies numériques pour résoudre les défis du XXIe siècle.

L’intelligence collective repose sur le principe selon lequel nous créons une capacité accrue à résoudre les problèmes, lorsque des personnes travaillent ensemble, grâce à la mobilisation d’un plus large éventail de données, d’idées et de points de vue, souvent soutenus par la technologie numérique[1].

Certaines des méthodes employées sont très simples, mais actuellement les progrès de la technologie et de la science des données et de l’IA permettent d’exploiter l’intelligence collective à une échelle plus grande qu’auparavant. Ces méthodes d’intelligence collective ont en commun l’utilisation de la technologie pour mobiliser les données en temps réel, leur donner du sens ou augmenter les observations, les idées et les points de vue d’un grand nombre de personnes et permet de prendre des décisions fondées sur des preuves tangibles. Par exemple, l’Université Laval a créé récemment Pulsar un centre qui analyse des données multiples grâce à l’intelligence artificielle, permettant la contextualisation des problématiques et des réponses très précises sur des questions de santé durable[2]. Que ce soit de l’avis des citoyens aux solutions innovantes, les données de la santé en temps réel, via des mobiles, de localisation grâce à la technologie satellitaire… presque toutes ces informations peuvent être exploitées de manière éthique et en respect des normes de sécurité, actuellement par les organisations du monde entier pour comprendre des problèmes complexes, prendre de meilleures décisions et trouver de nouvelles solutions durables et respectueuses de l’avenir de notre planète.

L’expérience pratique des Nations Unies à travers le monde depuis l’apparition de la pandémie de COVID-19 a démontré de façon aiguë comment les communautés locales possèdent des idées brillantes et la capacité de relever les défis existentiels locaux et mondiaux. Le défi est maintenant de savoir comment soutenir et amplifier cette vague d’innovation sans précédent pour favoriser la relance économique tout en considération des objectifs de développement durable (ODD). Une partie de la solution réside dans l’exploitation de l’intelligence distribuée (collective) au sein des communautés et des organisations locales. Ces savoirs collectifs nous aideront à mieux comprendre les problèmes complexes et à trouver de nouvelles solutions aux immenses défis mondiaux.

Les Nations Unies à travers leur programme de développement (UNDP) ont développé un Framework qui met en évidence les plus importants champs d’intervention pour l’intelligence collective. En voici quelques exemples liés aux objectifs de développement durable[3] :

1. Nouvelles formes de responsabilité et de gouvernance

Des méthodes telles que les vidéos de témoins oculaires et la cartographie (crowd-mapping) sont utilisées pour documenter les événements spécifiques. Par exemple :  la violence locale, les trafics d’humain, ou les violations des droits de l’homme. Ce cas d’utilisation montre également comment les gouvernements font appel à des idées et des opinions des citoyens lors de l’élaboration des politiques, et comment les citoyens génèrent de nouvelles formes de données pour la mise en œuvre des politiques publiques et de son monitorage.

2. Anticiper, surveiller et s’adapter aux risques systémiques

Un large éventail de méthodes d’intelligence collective qui aide les organisations à améliorer leur capacité d’alerte précoce ou anticipée, de suivi et de réponse aux catastrophes naturelles, aux conflits et aux épidémies.

3. Surveillance en temps réel de l’environnement

Méthodes d’intelligence collective comme la science citoyenne et les méthodes de détection in situ ou à distance (avec les satellites) ont gagné du terrain en tant que compléments aux méthodes existantes de surveiller l’état de l’environnement, de la qualité de l’air à la déforestation[4].

4. Comprendre et travailler avec des systèmes complexes

Les approches d’intelligence collective combinant plusieurs sources de données aident les décideurs politiques à visualiser la dynamique de systèmes complexes et à découvrir des informations qui étaient auparavant cachées ou des signaux faibles, mais ayant un impact important. Les dirigeants municipaux se tournent également de plus en plus vers la mise en commun (crowdsourcing) et le partage des idées et des opinions de leurs administrés pour comprendre les différents besoins des populations ou des problématiques localisées.

Exemple :  Lorsque le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) a entrepris de développer un modèle prédictif pour anticiper les mouvements des personnes déplacées dans les camps de réfugiés frontaliers, il a été confronté à un défi difficile, soit celui de comprendre quelles données pourraient être pertinentes pour une question complexe comme la migration. Il s’est avéré que les chèvres étaient la solution et cette réponse ne provenait pas d’une théorie abstraite, mais plutôt de conversations avec des réfugiés. Quand les réfugiés somaliens se préparent à quitter le pays, ils vendent leurs chèvres parce que les chèvres sont délicates et ont du mal à faire les longs trajets caractéristiques des migrations forcées. Cette simple constatation a inspiré le HCR à inclure dans les fluctuations du marché le prix des chèvres comme un paramètre de leur modèle, ce qui leur permet de mieux anticiper les futures crises de réfugiés et d’allouer les ressources humanitaires là où elles sont nécessaires.

5. Développement inclusif et technologies

La promesse des objectifs de développement durable (ODD) de « ne laisser personne de côté » soutient d’impliquer les communautés marginalisées dans les initiatives de développement prises par les instances publiques et les organisations. Le crowdsourcing de données provenant de groupes sous-représentés pour former des modèles ou algorithmes d’apprentissage automatique (IA) plus équitables, réduisant aux minimums les biais, est une autre tendance croissante, pour les pays en développement.

6. La résolution de problèmes distribuée

Pour exploiter les capacités de résolution de problèmes des individus, les organisations ont recours à l’échange de connaissances et d’expériences entre pairs pour trouver des solutions; l’utilisation de référentiels de sources ouvertes pour partager des solutions, afin que d’autres puissent les adapter et les utiliser. Ces méthodes d’intelligence collective ont une large application dans la majorité des ODD, mais deviennent particulièrement pertinentes pour des objectifs tels que l’action climatique, pour proposer de nouvelles solutions adaptées aux conditions locales.

Le grand défi des prochaines années sera d’orchestrer l’intelligence collective de manière plus stratégique ou à grande échelle, le UNDP[5] suggère les priorités pour aider les gouvernements à faire un meilleur usage de l’intelligence collective;  créer une base de preuves plus solide autour de l’impact de l’innovation et soutenir l’expérimentation collaborative dans un plus grand nombre de communautés; soutenir l’IA et l’intelligence collective dans les tests et les expérimentations en milieu réel et en condition d’usage (approche living lab) et mettre en place des considérations d’éthique et du respect de la vie privée dans la conception d’innovation. L’intelligence collective dépend de la confiance et de la bonne volonté des participants. Les organisations doivent donner la priorité à l’impact sur les personnes et considérer leur santé globale.

Si l’on reconnaît aisément que l’intelligence collective peut avoir des avantages énormes dans plusieurs secteurs pour mobiliser un éventail plus large de connaissances et d’expertises, le milieu des affaires tarde à mobiliser ces ressources précieuses. L’aspect stratégique, la propriété intellectuelle, la confidentialité sont des éléments qui freinent l’élan des entreprises à miser sur cette ressource générative de valeur importante.

Les organisations devraient en profiter afin d’affiner leur agilité organisationnelle et leur capacité d’anticipation pour réfléchir et répondre à des problématiques urgentes, complexes, des innovations de ruptures. La possibilité de réfléchir collectivement devrait s’inscrire dans l’ADN des organisations résilientes, capables de s’adapter rapidement et de faire pivoter leur stratégie au bon moment.

En réunissant autour des défis d’affaires importants leurs clients, leurs parties prenantes et leur communauté pour réfléchir et anticiper des solutions à des problématiques réelles ou potentielles, les dirigeants forgent des scénarios plus réalistes ancrés dans leur milieu. Pourquoi ne pas créer des mises en situation hypothétiques pour évaluer comment une organisation comme la vôtre peut se réinventer dans une période de crise, une catastrophe naturelle, un krach boursier, une pandémie, une découverte de rupture qui change votre marché en fermant certaines options ou en ouvrant d’autres opportunités ?

De même, si vous considérez que votre engagement sociétal devrait impliquer une réflexion plus globale incluant l’intégration des principes de développement durable, pourquoi ne pas miser sur cette intelligence collective pour forger une identité organisationnelle qui ressemble à vos clients actuels et futurs, fait écho à leurs préoccupations et dans laquelle ils se reconnaissent aujourd’hui et sont capables de se projeter dans un avenir qui fait envie aussi à leurs enfants ?

 


 

[1] Les Nations Unies à travers leur programme de développement (UNDP) ont mis sur pied un Accelerator Labs dont la mission est de réfléchir en mobilisant un réseau mondial misant sur l’intelligence collective afin de réfléchir aux défis du développement durable.

[2] Pulsar: https://www.pulsar.ca

[3] https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/

[4] Quinlivan, L., Chapman, D.V., Sullivan, T. 2020. Applying citizen science to monitor for the Sustainable Development Goal Indicator 6.3.2: a review. Environmental Monitoring and Assessment 192(218). Doi: 10.1007/s10661-020-8193-6

[5] UNDP Accelerator Labs