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Qui donne le ton éthique dans l’organisation?

La culture éthique ne se limite pas à des politiques ou à un code affiché sur un site Internet. Elle s’incarne dans la manière dont les décisions sont prises, dont les dilemmes sont discutés et dont les comportements sont valorisés. Le conseil d’administration (CA) joue un rôle déterminant dans cette dynamique : il donne le ton, établit les attentes et assure que l’éthique soit vécue, et non simplement déclarée.

Un CA engagé à promouvoir les bonnes pratiques veille à ce que les structures et les mécanismes éthiques soient plus que des formalités ; ils doivent soutenir la compétence éthique des équipes et s’ancrer dans la gouvernance quotidienne. Cela inclut l’obligation de s’assurer que l’organisation dispose de moyens concrets pour que ses valeurs se traduisent en décisions cohérentes et en comportements alignés.

 

De la conformité à la cohérence : un conseil d’administration porteur de sens et de valeurs

Le leadership inspirant des administrateurs et administratrices est le moteur de toute culture éthique. Il s’exprime d’abord dans la rigueur individuelle : transparence dans la gestion des conflits d’intérêts, respect des obligations de gouvernance, intégrité dans la prise de parole… Mais il se manifeste aussi collectivement, dans la façon dont le CA réagit aux situations complexes, équilibre performance et intégrité, et assume le courage de corriger des comportements contraires aux valeurs – même lorsqu’ils proviennent de personnes performantes.

Lorsqu’un conseil d’administration incarne réellement les valeurs qu’il prône, il crée un effet d’entraînement positif à travers l’organisation. Par exemple, une étude de Gallup révèle qu’une entreprise promouvant un leadership éthique fort bénéficie d’un taux de rotation du personnel inférieur de 63 % à celui d’une organisation comparable à faible éthique. Dans la même veine, 78 % des PDG interrogés par PwC estiment qu’une culture d’entreprise éthique – impulsée par le CA – accroît la loyauté et l’engagement des employés envers l’organisation. Concrètement, des sociétés reconnues pour leur gouvernance intègre, telle Patagonia, affichent des taux de roulement annuels particulièrement bas, grâce à l’adhésion du personnel aux valeurs incarnées par le conseil d’administration.

Cette cohérence est la clé de la confiance. Les employés qui perçoivent un alignement fort entre les valeurs organisationnelles et les comportements des dirigeants sont trois fois plus enclins à signaler les inconduites et à participer à la construction d’un climat de confiance durable.

 

Structures et mécanismes : ancrer l’éthique dans la gouvernance

Une culture éthique se construit à travers des structures et des mécanismes vivants qui permettent aux principes d’intégrité, de justice et de responsabilité de s’exprimer dans les décisions quotidiennes. Ces dispositifs constituent la colonne vertébrale de la gouvernance éthique : ils donnent forme aux valeurs et assurent leur durabilité.

Les organisations les plus performantes sur le plan éthique combinent des éléments formels (codes, politiques, processus de signalement, comités d’éthique) et des espaces de discussion où les équipes peuvent exercer leur jugement.

Au Canada, des procédures internes claires et sécurisées pour la divulgation d’inconduites renforcent la confiance dans les institutions publiques. De tels mécanismes garantissent que les signalements sont pris au sérieux et traités avec équité.

Toutefois, il n’existe pas de modèle universel. Les structures et mécanismes doivent être adaptés au contexte, aux risques et à la maturité organisationnelle. Une société d’État, une PME ou un organisme sans but lucratif ne feront pas face aux mêmes enjeux ni ne disposeront des mêmes capacités internes. La proportionnalité et l’adaptation des outils de gouvernance aux réalités du terrain sont des principes fondamentaux d’une gouvernance responsable.

 

Développer la compétence éthique : un investissement stratégique

L’éthique ne se réduit pas à des contrôles ; elle s’appuie sur la compétence éthique des personnes. Former les administrateurs, dirigeants, gestionnaires et employés à reconnaître les dilemmes, à analyser les enjeux et à délibérer collectivement est essentiel à la maturité éthique d’une organisation.

Les organisations offrant des formations régulières en éthique voient une hausse de l’utilisation des mécanismes de signalement et de la conformité aux valeurs déclarées. Ces formations, pour être efficaces, doivent aller au-delà des rappels réglementaires : elles doivent stimuler la réflexion, nourrir la discussion et renforcer le courage moral.

Le développement des compétences éthiques constitue un investissement stratégique qui favorise la cohérence et la confiance interne. Au Canada, certaines institutions ont illustré cette approche en mettant en œuvre un plan d’action pluriannuel visant à intégrer les valeurs et l’éthique à la culture et au climat de l’organisation.

 

Mesurer la maturité éthique : du diagnostic à la gouvernance durable

Comme pour la diversité ou la durabilité, il est impossible d’améliorer la culture éthique sans la mesurer. Les conseils d’administration doivent s’appuyer sur des indicateurs concrets pour évaluer la maturité éthique de leur organisation :

  • Diagnostics internes de maturité éthique, situant l’organisation sur un continuum entre conformité et exemplarité ;
  • Sondages anonymes, mesurant la perception de la confiance, de la transparence et de la cohérence entre discours et actions ;
  • Suivi des mécanismes, tels que la rapidité de traitement des signalements, le taux de participation aux formations, ou la proportion d’enjeux éthiques remontés aux comités de direction ;
  • Gestion intégrée des risques éthiques, évaluant la probabilité de survenance, les conséquences sur les parties prenantes et l’efficacité des contrôles en place.

Les organisations qui mesurent régulièrement la perception de la confiance et de la cohérence interne constatent une réduction notable des inconduites.

Ces données ne visent pas à produire des rapports, mais à orienter des actions. Les indicateurs doivent refléter les comportements réels, pas seulement l’existence de politiques. Une organisation éthiquement mature se reconnaît par la cohérence entre ses écrits et ses gestes, entre ses départements et ses niveaux hiérarchiques.

 

Vers une transformation durable : la confiance comme levier

Une culture éthique forte est bien plus qu’un gage de conformité ; c’est un facteur de durabilité et de performance. Elle renforce la confiance entre les parties prenantes — employés, clients, investisseurs, citoyens — et réduit les risques réputationnels et opérationnels.

Pour les conseils d’administration, cultiver cette confiance passe par un engagement visible, une cohérence entre le discours et les actes, et un suivi constant de la maturité éthique.

En fin de compte, une culture éthique vivante repose sur trois piliers :

  1. Le leadership éthique du conseil d’administration, qui donne le ton ;
  2. Des mécanismes adaptés au contexte et aux risques, qui rendent l’éthique opérationnelle ;
  3. Le développement continu de la compétence éthique, qui permet aux valeurs de s’incarner dans l’action.

Cette cohérence entre la gouvernance, les comportements et les résultats crée un climat de confiance durable, où l’éthique devient un véritable levier stratégique de performance et de légitimité.

 

Sophie Gagnon

Présidente, Groupe Philia

 

Références

Gouvernement du Canada. Statistics Canada: Integration of Values and Ethics in Organizational Culture.

HonestiValues. 2024. “What Role Does Ethical Leadership Play in Enhancing Employee Engagement?” HonestiValues Blog, October 18, 2024.

OECD. Anti-Corruption and Integrity Outlook 2024 – Country Notes: Canada.

Ethics & Compliance Initiative (ECI). Global Business Ethics Survey 2023.

Institute of Business Ethics (IBE). Rethink Compliance: Benchmarking Report.

European Institute of Business Ethics (EIBE). Corporate Integrity and Governance in Europe.

Bureau du commissaire à l’intégrité du secteur public (Canada). Rapports annuels.

Lacroix, A., Marchildon, A. et Bégin, L. (2017). Former à l’éthique en organisation : une approche pragmatiste Presses de l’Université du Québec